« Adala no toa an-drainy » — Seul un sot ressemble à son père.
Ce proverbe malgache porte en lui une sagesse qui transcende la simple relation filiale. Il interroge notre rapport à l’héritage, à la transmission, et surtout à la répétition. Sa profondeur réside dans ce qu’il ne dit pas explicitement : il est sot de répéter les mêmes erreurs que ceux qui nous ont précédé.
Le piège du mimétisme
Le mimétisme est rassurant. Il offre des chemins déjà tracés, des solutions apparemment éprouvées, la sécurité de ce qui « a déjà marché ailleurs ». Copier, reproduire, importer des modèles : c’est la voie de la facilité, celle qui nous épargne l’effort de comprendre, de digérer, de traduire.
Mais le mimétisme est aussi une impasse. Parce qu’un modèle n’est jamais neutre — il porte l’empreinte du contexte qui l’a vu naître. Transposer sans adapter, c’est plaquer une réponse sur une question qui n’a pas été posée. C’est ignorer le sol sous nos pieds, le climat qui nous entoure, l’histoire qui nous habite.
Madagascar en a fait l’expérience répétée : des modèles de développement importés, appliqués sans discernement, ont montré leurs limites. Pas parce qu’ils étaient mauvais en soi, mais parce qu’ils n’étaient pas enracinés. Ils ressemblaient à quelque chose qui avait fonctionné ailleurs, mais ils n’étaient pas nés d’ici.
La nature ne copie pas
Observons la nature : un arbre ne copie pas l’arbre d’à côté. Il répond. Il s’adapte. Il développe ses racines selon le sol qu’il rencontre, oriente ses branches vers la lumière disponible, ajuste sa croissance aux vents dominants. Deux arbres de la même essence, plantés dans des contextes différents, ne se ressembleront jamais totalement.
C’est le principe même d’un jardin-forêt : non pas reproduire un modèle universel de permaculture, mais composer avec l’écosystème local, dialoguer avec le terrain, créer une symbiose entre ce qui est déjà là et ce qu’on souhaite développer. Entre terre et mer, sur la côte Est malgache, la réponse ne peut pas être la même qu’en zone sahélienne ou en climat tempéré.
La nature nous enseigne que l’adaptation prime sur l’imitation. Que la résilience naît de la diversité, pas de l’uniformité. Que chaque contexte appelle sa propre expression.
Du dogme au fondamental
Il y a une différence cruciale entre un dogme et un fondamental.
Le dogme fige. Il impose une forme, exige une reproduction à l’identique, sanctionne la déviation. Il dit : « Voici comment faire, ne changez rien. »
Le fondamental libère. Il offre un principe générateur, une racine à partir de laquelle mille expressions deviennent possibles. Il dit : « Voici le principe, développez-le selon votre contexte. »
« Adala no toa an-drainy » n’est pas un dogme. C’est un fondamental. Il ne nous dit pas comment éviter les erreurs du passé — ce serait paradoxalement imposer un nouveau modèle à reproduire. Il pose simplement le principe qu’il faut les éviter. Le comment, c’est à chacun de le découvrir, de le développer, de l’incarner selon son terrain.
C’est la différence entre enseigner une technique comme une chorégraphie rigide et transmettre les fondamentaux d’un mouvement. La capoeira elle-même illustre cette sagesse : née de la résistance, elle n’a pas copié les arts martiaux de la domination. Elle a inventé sa propre grammaire, sa propre philosophie du corps et du jeu. Chaque capoeiriste développe ensuite son propre style à partir de ces fondamentaux.
Développer plutôt qu’inventer
Tesla disait de lui-même qu’il n’était pas un inventeur mais un développeur. Cette distinction est essentielle. L’inventeur part d’une page blanche, prétend créer ex nihilo. Le développeur observe ce qui existe, comprend les impasses, apprend des erreurs passées, et développe des alternatives enracinées dans cette compréhension.
Développer, c’est métaboliser les influences. C’est digérer les apprentissages externes pour créer quelque chose d’authentiquement situé. Ce n’est pas rejeter tout ce qui vient d’ailleurs — ce serait une autre forme de dogmatisme — mais c’est refuser le mimétisme aveugle.
Un lieu pilote n’est pas un modèle à reproduire. C’est un espace d’expérimentation où le principe fondamental s’incarne : apprendre du vivant, du contexte, des tentatives passées, pour développer ce qui est juste ici et maintenant. Ensuite, chaque lieu devra trouver sa propre expression de ce principe.
La sagesse de la rupture
Rompre avec le mimétisme n’est pas un acte de rébellion gratuite. C’est un acte de lucidité et de responsabilité. C’est refuser de transmettre les erreurs en même temps que les héritages. C’est offrir aux générations suivantes non pas un modèle figé à reproduire, mais des apprentissages vivants dont elles pourront se nourrir pour créer leur propre chemin.
Le vrai héritage n’est pas dans la ressemblance superficielle, dans la répétition des formes. Il est dans la transmission des principes fondamentaux qui permettent à chacun de s’adapter, d’innover, de répondre justement aux défis de son époque et de son contexte.
« Adala no toa an-drainy » nous rappelle cette vérité : la sagesse n’est pas dans la copie, mais dans la compréhension. Pas dans l’imitation, mais dans l’adaptation. Pas dans le mimétisme rassurant, mais dans le développement lucide.
C’est peut-être là le sens profond de ce proverbe : nous inviter à être des développeurs plutôt que des copieurs. À honorer le passé non pas en le reproduisant, mais en apprenant de ses erreurs pour créer quelque chose de nouveau, d’enraciné, de vivant.
Un monde dans un monde. Chaque contexte est un monde qui porte ses propres réponses. À condition qu’on accepte de rompre avec le mimétisme pour écouter les fondamentaux.
