Le Toujours Plus, la Drogue du Capitalisme

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Chaussures à l'encan @ KIKA Photo
Chaussures à l'encan @ KIKA Photo

Il y a dans le fonctionnement du capitalisme contemporain quelque chose qui s’apparente à une addiction. Non pas celle d’un individu isolé, mais une dépendance systémique, collective, qui traverse les entreprises, les États, et jusqu’à nos propres comportements de consommateurs. Cette drogue a un nom : le toujours plus.

L’essence du problème

Imaginez que vous prépariez un voyage en voiture. Vous remplissez le coffre de jerricanes d’essence, par précaution, pour être sûr de ne jamais manquer. Mais voilà : le poids de tous ces bidons alourdit le véhicule, qui se met à consommer davantage de carburant. Vous avez créé le problème en voulant le résoudre.

C’est exactement ce qui s’est passé avec le capitalisme. Le système, qui à l’origine était un outil pour investir, créer de la valeur et prospérer ensemble, s’est transformé en une machine à accumuler. Le capital n’est plus un moyen, il est devenu une fin en soi.

Les symptômes de l’addiction

Comme toute drogue, le « toujours plus » génère des mécanismes bien connus :

L’accoutumance : Ce qui suffisait hier ne suffit plus aujourd’hui. Les profits de l’année dernière deviennent le plancher, jamais le plafond. Un taux de croissance qui stagne est vécu comme un échec, une récession comme une catastrophe.

L’escalade : Il faut sans cesse augmenter la dose. Plus de croissance, plus de consommation, plus de production, plus de marchés à conquérir. Les entreprises cotées en bourse sont condamnées à afficher des résultats trimestriels toujours en hausse, sous peine de voir leur valeur s’effondrer.

L’impossibilité du sevrage : Ralentir est devenu impensable. Proposer la décroissance, même raisonnée, même heureuse, c’est être taxé d’utopiste ou de dangereux idéaliste. Le système s’est construit de telle manière qu’il ne peut survivre sans croissance continue.

La distorsion de la réalité : On finit par oublier que la planète est finie, que les ressources sont limitées, que le bien-être ne se mesure pas en PIB. L’addiction nous fait perdre contact avec le réel.

Le paradoxe de la croissance infinie

Le capitalisme repose sur un postulat impossible : la croissance infinie dans un monde fini. C’est comme essayer de gonfler un ballon indéfiniment. À un moment, inévitablement, ça éclate.

Et nous voyons déjà les coutures craquer : dérèglement climatique qui s’accélère, épuisement des ressources naturelles, inégalités sociales qui se creusent, burn-out généralisé des travailleurs, perte de sens collective. Le coffre surchargé de jerricanes nous alourdit au point de rendre le voyage lui-même pénible, dangereux, insensé.

Quand le capitalisme a-t-il déraillé ?

Le capitalisme en soi n’est pas mauvais. C’est un outil, ni plus ni moins. Ce qui a déraillé, c’est cette transformation progressive du « prospérer ensemble » en « accumuler indéfiniment ».

Le point de bascule s’est peut-être situé :

  • Quand les entreprises sont devenues massivement cotées en bourse, avec l’obligation de satisfaire des actionnaires demandant des rendements toujours croissants
  • Quand l’argent s’est détaché de la production réelle, avec la financiarisation de l’économie et la spéculation
  • Quand le PIB est devenu l’unique indicateur de réussite collective, occultant le bien-être, la santé, l’équilibre écologique
  • Quand la consommation est devenue un acte civique, un devoir pour « relancer l’économie »

La sobriété comme désintoxication

Face à cette addiction collective, le concept de sobriété devient révolutionnaire. Pas la sobriété subie, imposée par la pénurie, mais la sobriété choisie, heureuse. C’est réapprendre à se satisfaire du suffisant, à trouver la richesse dans autre chose que l’accumulation matérielle.

C’est partir avec juste assez d’essence pour le trajet, en sachant qu’on peut faire le plein en route. C’est la logique du flux plutôt que du stock, de la confiance plutôt que de la peur du manque, du cycle plutôt que de l’extraction.

Cette sagesse, nous pouvons la retrouver dans les modèles vivants : un jardin-forêt qui produit ce dont on a besoin, en continu, sans épuiser les sols. Un capitalisme circulaire, organique, qui respecterait les cycles naturels au lieu de les nier.

Le réveil est-il possible ?

La question reste ouverte. Peut-on sevrer une économie mondiale de sa drogue ? Les mécanismes d’addiction sont si profondément ancrés, les intérêts si puissants, l’infrastructure si massive.

Mais peut-être que la question n’est pas de changer le système mondial d’un coup. Peut-être s’agit-il d’abord de se désintoxiquer soi-même, à son échelle. De créer des îlots de sobriété, des espaces où d’autres logiques prévalent. De montrer, par l’exemple, qu’on peut vivre autrement.

Et de préparer, patiemment, les graines de ce qui pourrait émerger le jour où le système, épuisé par sa propre frénésie, cherchera enfin d’autres voies.

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